mardi 8 octobre 2013

Imagine...Cosette 1/3

«Exprimer l’humanité dans une espèce d’œuvre cyclique; la peindre successivement et simultanément sous tous ses aspects, histoire, fable, philosophie, religion, science, lesquels se résument en un seul et immense mouvement d’ascension vers la lumière"
La Légende des siècles préface
Cosette jeune fille, P.G Jeaniot
Dans ce voyage avec des personnages célèbres de la littérature, impossible de faire l'impasse, sur l'œuvre de Victor Hugo. Auteur prolifique, il peint ses personnage avec un luxe inouï de détails. Pour ce nouvel Imagine..., j'ai choisi le personnage de Cosette, du roman Les misérables, que l'on se représente toujours sous les traits d'une enfant en haillons et émaciée, ce qu'elle fut cinq années durant. Par la suite elle offre l'image d'une jeune fille confortablement vêtue, puis d'une jeune femme brillante initiant les modes. La richesse de l'écriture de Victor Hugo, la complexité du roman m'amène ici à ne pas simplement vous dépeindre un personnage mais à comprendre sa place dans l'œuvre. Je vais donc scinder mon propos en trois parties, qui seront autant d'articles:
          1. l'auteur et son œuvre Les misérables; objet de l'article présent
          2. Le personnage de Cosette jeune fille
          3. Cosette jeune femme à la mode et future baronne de Pontmercy

Victor Hugo et Cosette

Jean Valjean et  Cosette, G. Brion, 1862

Victor Hugo et les Misérables, œuvre engagée

Il est difficile de comprendre les Misérables sans se pencher sur les motivations qui conduisent Victor Hugo à écrire ce roman ainsi que le contexte historique qui l'entoure. Je limite mon propos à quelques faits qui éclairent la création des Misérables.

  • L'engagement d'un intellectuel
Tout d'abord monarchiste conservateur, pair de France, député, et enfin républicain et réformiste, il s'est toutefois prononcé très tôt contre la peine de mort; pour lui crimes et délits sont commis par de "pauvres diables, que la faim pousse au vol, et le vol au reste; enfants déshérités d’une société marâtre […] infortunés qu’avec une école et un atelier vous auriez pu rendre bons, moraux, utiles" (préface de 1832 du Dernier Jour d’un condamné), contre la misère et l'injustice, pour la liberté des peuples soumis, pour l'émancipation par l'éducation. Victor Hugo dénonce le fait que le progrès puisse s'accompagner de l'exclusion des plus misérables. Avec l’économiste Adolphe Blanqui, auteur d'une enquête sur les ouvriers en 1848, Victor Hugo se rend en février 1851 à Lille où il prend conscience des terribles conditions de logement des ouvriers de l’industrie textile.
Lorsque paraissent les Misérables, en 1862, Victor Hugo a 60 ans et vit en exil depuis 10 ans pour s'être élevé contre le coup d'État de Napoléon III. Les thèmes de l'isolement et du refuge sous-tendent toute l'œuvre des Misérables.

  • sa vie familiale et sentimentale
En septembre 1843 Hugo perd tragiquement sa fille Léopoldine, mariée depuis seulement 6 mois; il lui était très attaché et arrête d'écrire durant trois ans. Léoplodine se retrouve pour partie dans le personnage de Cosette jeune femme; ainsi Cosette se marie à 18 ans, le 16 février, le mariage de Léopoldine se déroula un 15 février, elle avait alors19 ans. Il est fait mention dans le roman des vêtements de Cosette pieusement conservés par Jean Valjean: «que doivent-ils à la «robe que portait Léopoldine le jour de sa mort (4 septembre 1843) et contenue dans une housse à gants qui porte cette mention de la main de Victor Hugo: “Costume avec lequel ma fille est morte: relique sacrée”»(Chantal Brière : Mourir dans Les Misérables) En 1845, une aventure extra-conjugale avec Léonie Biard se termine par un constat d'adultère ; la prison, le couvent et la misère attendent la jeune femme, entraînant chez Hugo une prise de conscience de la situation particulière de la femme de la société, seule condamnée et mise au banc. Cette conscience d'un destin particulier pour la femme donne naissance à des personnages féminins puissants tout le long du roman: Fantine, Eponine, Cosette.

Léopoldine Hugo, Auguste Châtillon, 1836
Le contexte historique de l'œuvre

l'action du roman Les Misérables se situe entre 1815 et 1833; les principaux faits marquants sont:

  • la chute du premier Empire en 1815 après la défaite de Napoléon à Waterloo.
  • la première Restauration monarchique 1815-1830 imposée par les puissances européennes qui ont mis fin à l'Empire; et son mouvement réactionnaire.
  • 1821 décès de Napoléon Bonaparte et naissance d'un mythe
  • 1828 premières «sociétés de devoir mutuel», secrètes, créées à Lyon pour l'entraide (maladie, décès, accident, grève); cependant la charité reste le mot d'ordre.
  • la Révolution confisquée de 1830 et l'installation de la monarchie de Juillet.
  • 21 novembre-3 décembre1831 révolte des canuts, ouvriers de la soie, violente répression et 10 000 ouvriers expulsés
  • l' échec de l'insurrection républicaine des 5 et 6 juin 1832 qui entraîne une justice d'exception favorisant des condamnations plus sévères.
  • 1832 importante épidémie de choléra en France et particulièrement à Paris où la pandémie provoque 18500 morts de mars à Septembre
Boulevard Montmartre, Paris, 1830, Guiseppe Canella
Les premières décennies du XIX° siècle voient se développer l'industrialisation, principalement dans les centres urbains qui grossissent rapidement, Paris double sa population en 40 ans, passant de 500 000 à 1 millions. Le travail des enfants est monnaie courante malgré des tentatives de réglementation des abus: en 1841 on limite l'âge à 8 ans dans les manufactures de plus de 20 salariés. La loi sera amendée en 1851 mais c'est seulement en 1874 , 12 ans après la parution des Misérables, que la Loi sur le travail des enfants et filles mineures dans l'industrie, limite l'emploi avant 12 ans.
De 1817 à 1851 on assiste à une baisse du salaire moyen ouvrier, en raison de la baisse des prix industriels et de l'exode rural qui accroît l'offre de main-d'œuvre ; à cela s'ajoutent la hausse des prix du pain à partir de 1827: la nourriture, notamment le pain, représente près de 75% du budget ouvrier, conditions que viennent aggraver les crises de production agricoles (1828-1832); les quartiers populaires se trouvent au cœur de Paris; la misère y est très répandue: 80% des parisiens finissent à la fosse commune et 2/3 des parisiens ne paient pas d'impôts en raison de leurs revenus trop bas ; ainsi le prolétariat que décrit Victor Hugo est encore celui de la pré-révolution industrielle Dans la vie quotidienne le travailleur est suspect: il doit posséder un livret, qu'il fait viser à chaque changement de domicile, sous peine d'être réputé vagabond, et ne peut trouver de nouvel employeur sans présenter son livret; la durée de travail est d'environ 12 heures par jour , six jours par semaine

Usine de métal, A.M. Eisenwalzwerk, 1875

Les Misérables

les Misérables, œuvre littéraire plus que roman, où sont utilisés tous les styles littéraires, tient
  • du conte de fées :la transformation de Cosette, orpheline, misérable et martyrisée, en jeune baronne, amoureuse et aimée de Marius, jolie et riche, Cendrillon n'est pas loin.
  • du roman social: la descriptions de la misère des plus pauvres, parisiens ou non; Hugo s'inspire de ses propres observations lors de voyages et de traités ou rapports voire de la littérature de vulgarisation sociologique qui se multiplie en cette première moitié de 19ème siècle. Hugo signale la présence des enfants errants dans Paris qu'il dénonce «Tous les crimes de l'homme commencent au vagabondage de l'enfant» dont il souligne le rôle social et économique «un peu d'Égypte et de Bohême dans les basses régions accommodait les hautes sphères, et faisait l'affaire des puissants»
  • du roman feuilleton:la poursuite obsessionnelle de Javert et la fuite de Jean Valjean
  • du projet romantique: avec des personnages complexes , obsédés et poursuivis, porteurs de secrets, aux âmes tourmentées; Dieu , l'Infini, le bien et le mal sont des références fréquentes, sans oublier les peintures fantasmatiques de scènes telles celles de la bataille de Waterloo
  • du mélodrame: de nombreuses scènes provoquent l'émotion: la mort de Fantine ou la fin de Jean Valjean, par exemple.
  • l'œuvre comporte aussi des poèmes , des chansons, des parties dialoguées, des lettres, etc.
«Fondamentalement divisée (...) la société des Misérables ne saurait être perçue par un observateur unique, ni figurée sous un seul régime textuel » 
Guy Rosa Université Paris 7-Denis Diderot

Gustave Brion, Les Thénardiers et Javert
Mais les Misérables sont aussi un poème épique et métaphysique se substituant à son poème inachevé, La Fin de Satan. Hugo pose une question, la relation du bien et du mal:pour accéder au bien il faut connaître le mal, comme le rappelle Jean Valjean à Fantine mourante: «C'est de cette façon que les hommes font des anges. Ce n'est point leur faute; ils ne savent pas s'y prendre autrement. Voyez-vous, cet enfer dont vous sortez est la première forme du ciel. Il fallait commencer par là.»; le principe vaut pour les principaux personnages, Jean Valjean, Marius et bien sûr Cosette.

Les Misérables mettent en scènes de nombreux personnages, des plus puissants (Rois, aristocrates) et de leurs agents (Javert) aux plus misérables, dans les deux sens du terme, frappés par la misère et se comportant de manière misérable ( les Thénardier). Hugo aurait ainsi écrit l'histoire d' un saint ( Jean Valjean) à l'imitation d'un juste ( Monseigneur Bienvenu), d'un homme (Marius), d'une femme (Fantine) et d'une poupée (Cosette).


  Eponine et Marius, Fortune Méaulle
Il y a plusieurs romans dans les Misérables, le principal étant celui qui évoque l' amour complexe entre le «saint» et «la poupée», Jean Valjean confronté à la violence de la société qui l'a exclu du monde, et à sa propre brutalité, rencontre des êtres et des situations qui le conduisent vers le don de soi en faveur d'une orpheline, Cosette! «L'instinct de Cosette cherchait un père comme l'instinct de Jean Valjean cherchait un enfant....cette situation fit que Jean Valjean devint d'une façon céleste le père de Cosette» «il fut le soutien de cet enfant et cet enfant fut son point d'appui»
C'est aussi un roman écrit en deux temps: Hugo commence à écrire Les Misères en 1845, peu de temps après la condamnation de sa maîtresse Léonie Briard pour adultère. Il laisse ce roman inachevé pour en reprendre la rédaction dix années plus tard faisant des misérables «Tristes créatures, sans nom, sans âge, sans sexe, auxquelles ni le bien, ni le mal ne sont plus possibles, et qui, en sortant de l'enfance, n'ont déjà plus rien dans ce monde, ni la liberté, ni la vertu, ni la responsabilité.» les héros de son roman.

Prochainement:
            Le personnage de Cosette jeune fille
            Cosette jeune femme à la mode, Baronne de Pontmercy

1 commentaire:

sylf a dit…

Article extrêmement intéressant! Du coup, je vais peut-être me remettre à lire des classiques (et ça crois-moi, c'est tout à fait inattendu)

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