«Exprimer
l’humanité dans une espèce d’œuvre cyclique; la peindre
successivement et simultanément sous tous ses aspects, histoire,
fable, philosophie, religion, science, lesquels se résument en un
seul et immense mouvement d’ascension vers la lumière"
La
Légende des siècles préface
Cosette jeune fille, P.G Jeaniot
Dans
ce voyage avec des personnages célèbres de la littérature,
impossible de faire l'impasse, sur l'œuvre de Victor Hugo. Auteur
prolifique, il peint ses personnage avec un luxe inouï de détails. Pour
ce nouvel Imagine..., j'ai choisi le personnage de Cosette, du
roman Les misérables, que l'on se représente toujours sous
les traits d'une enfant en haillons et émaciée, ce qu'elle fut cinq
années durant. Par la suite elle offre l'image d'une jeune fille
confortablement vêtue, puis d'une jeune femme brillante initiant les
modes. La
richesse de l'écriture de Victor Hugo, la complexité du roman
m'amène ici à ne pas simplement vous dépeindre un personnage mais
à comprendre sa place dans l'œuvre. Je vais donc scinder mon propos
en trois parties, qui seront autant d'articles:
- l'auteur et son œuvre Les misérables; objet de l'article présent
- Le personnage de Cosette jeune fille
- Cosette jeune femme à la mode et future baronne de Pontmercy
Victor
Hugo et Cosette
Jean Valjean et Cosette, G. Brion, 1862
Il est difficile de comprendre les
Misérables sans se pencher sur les motivations qui conduisent
Victor Hugo à écrire ce roman ainsi que le contexte historique qui
l'entoure. Je limite mon propos à quelques faits qui
éclairent la création des Misérables.
- L'engagement d'un intellectuel
Tout
d'abord monarchiste conservateur, pair de France, député, et enfin
républicain et réformiste, il s'est toutefois prononcé très tôt
contre la peine de mort; pour lui
crimes et délits sont commis par de "pauvres
diables, que la faim pousse au vol, et le vol au reste; enfants
déshérités d’une société marâtre […] infortunés qu’avec
une école et un atelier vous auriez pu rendre bons, moraux, utiles"
(préface de 1832 du Dernier Jour d’un condamné), contre la
misère et l'injustice, pour la liberté des peuples soumis, pour
l'émancipation par l'éducation. Victor
Hugo dénonce le fait que le progrès puisse s'accompagner de
l'exclusion des plus misérables. Avec
l’économiste Adolphe Blanqui, auteur d'une enquête sur les
ouvriers en 1848, Victor Hugo se rend en février 1851 à Lille où
il prend conscience des terribles conditions de logement des ouvriers
de l’industrie textile.
Lorsque
paraissent les Misérables, en 1862, Victor
Hugo a 60 ans et vit en exil depuis 10 ans pour s'être
élevé contre le coup d'État de Napoléon III. Les thèmes de
l'isolement et du refuge sous-tendent toute l'œuvre des Misérables.
- sa vie familiale et sentimentale
En
septembre 1843 Hugo perd tragiquement sa fille Léopoldine, mariée
depuis seulement 6 mois; il lui était très attaché et
arrête d'écrire durant trois ans. Léoplodine se retrouve
pour partie dans le personnage de Cosette jeune femme; ainsi Cosette
se marie à 18 ans, le 16 février, le mariage de Léopoldine se
déroula un 15 février, elle avait alors19 ans. Il est fait mention
dans le roman des
vêtements de Cosette pieusement conservés par Jean Valjean: «que
doivent-ils à la «robe que portait Léopoldine le jour de sa mort
(4 septembre 1843) et contenue dans une housse à gants qui porte
cette mention de la main de Victor Hugo: “Costume avec lequel ma
fille est morte: relique sacrée”»(Chantal
Brière : Mourir dans Les
Misérables) En
1845, une aventure extra-conjugale avec Léonie Biard se termine par
un constat d'adultère ; la prison, le couvent et la misère
attendent la jeune femme, entraînant chez Hugo une prise de
conscience de la situation particulière de la femme de la société,
seule condamnée et mise au banc. Cette conscience d'un destin
particulier pour la femme donne naissance à des personnages féminins
puissants tout le long du roman: Fantine, Eponine, Cosette.
Léopoldine Hugo, Auguste Châtillon, 1836
Le
contexte historique de l'œuvre
l'action
du roman Les Misérables se situe entre 1815 et 1833; les principaux
faits marquants sont:
- la chute du premier Empire en 1815 après la défaite de Napoléon à Waterloo.
- la première Restauration monarchique 1815-1830 imposée par les puissances européennes qui ont mis fin à l'Empire; et son mouvement réactionnaire.
- 1821 décès de Napoléon Bonaparte et naissance d'un mythe
- 1828 premières «sociétés de devoir mutuel», secrètes, créées à Lyon pour l'entraide (maladie, décès, accident, grève); cependant la charité reste le mot d'ordre.
- la Révolution confisquée de 1830 et l'installation de la monarchie de Juillet.
- 21 novembre-3 décembre1831 révolte des canuts, ouvriers de la soie, violente répression et 10 000 ouvriers expulsés
- l' échec de l'insurrection républicaine des 5 et 6 juin 1832 qui entraîne une justice d'exception favorisant des condamnations plus sévères.
- 1832 importante épidémie de choléra en France et particulièrement à Paris où la pandémie provoque 18500 morts de mars à Septembre
Boulevard Montmartre, Paris, 1830, Guiseppe Canella
Les
premières décennies du XIX° siècle voient se développer
l'industrialisation, principalement dans les centres urbains qui
grossissent rapidement, Paris double sa population en 40 ans, passant
de 500 000 à 1 millions. Le travail des enfants est monnaie courante
malgré des tentatives de réglementation des abus: en 1841 on limite
l'âge à 8 ans dans les manufactures de plus de 20 salariés. La loi
sera
amendée en 1851
mais c'est seulement
en 1874 , 12 ans après la parution des Misérables, que la Loi
sur le travail des enfants et filles mineures dans l'industrie,
limite l'emploi avant 12 ans.
De
1817 à 1851 on assiste à une baisse du salaire moyen ouvrier, en
raison de la baisse des prix industriels et de l'exode rural qui
accroît l'offre de main-d'œuvre ; à cela s'ajoutent la hausse des
prix du pain à partir de 1827: la nourriture, notamment le pain,
représente près de 75% du budget ouvrier, conditions que viennent
aggraver les crises de production agricoles (1828-1832); les
quartiers populaires se trouvent au cœur de Paris; la misère y est
très répandue: 80% des parisiens finissent à la fosse commune et
2/3 des parisiens ne paient pas d'impôts en raison de leurs revenus
trop bas
; ainsi le prolétariat que décrit Victor Hugo est encore celui de
la pré-révolution industrielle Dans la vie quotidienne le
travailleur est suspect: il doit posséder un livret, qu'il fait
viser à chaque changement de domicile, sous peine d'être réputé
vagabond, et ne peut trouver de nouvel employeur sans présenter son
livret; la durée de travail est d'environ 12 heures par jour , six
jours par semaine
Usine de métal, A.M. Eisenwalzwerk, 1875
Les
Misérables
les
Misérables, œuvre littéraire plus que roman, où sont utilisés
tous les styles littéraires, tient
- du conte de fées :la transformation de Cosette, orpheline, misérable et martyrisée, en jeune baronne, amoureuse et aimée de Marius, jolie et riche, Cendrillon n'est pas loin.
- du roman social: la descriptions de la misère des plus pauvres, parisiens ou non; Hugo s'inspire de ses propres observations lors de voyages et de traités ou rapports voire de la littérature de vulgarisation sociologique qui se multiplie en cette première moitié de 19ème siècle. Hugo signale la présence des enfants errants dans Paris qu'il dénonce «Tous les crimes de l'homme commencent au vagabondage de l'enfant» dont il souligne le rôle social et économique «un peu d'Égypte et de Bohême dans les basses régions accommodait les hautes sphères, et faisait l'affaire des puissants»
- du roman feuilleton:la poursuite obsessionnelle de Javert et la fuite de Jean Valjean
- du projet romantique: avec des personnages complexes , obsédés et poursuivis, porteurs de secrets, aux âmes tourmentées; Dieu , l'Infini, le bien et le mal sont des références fréquentes, sans oublier les peintures fantasmatiques de scènes telles celles de la bataille de Waterloo
- du mélodrame: de nombreuses scènes provoquent l'émotion: la mort de Fantine ou la fin de Jean Valjean, par exemple.
- l'œuvre comporte aussi des poèmes , des chansons, des parties dialoguées, des lettres, etc.
«Fondamentalement
divisée (...) la société des Misérables ne saurait être perçue
par un observateur unique, ni figurée
sous un seul régime textuel »
Guy Rosa Université Paris 7-Denis Diderot
Gustave Brion, Les Thénardiers et Javert
Mais
les Misérables
sont
aussi un poème épique et métaphysique se substituant à son poème
inachevé, La
Fin de Satan.
Hugo pose une question, la relation du bien et du mal:pour accéder
au bien il faut connaître le mal, comme le rappelle Jean Valjean à
Fantine mourante: «C'est
de cette façon que les hommes font des anges. Ce n'est point leur
faute; ils ne savent pas s'y prendre autrement. Voyez-vous, cet enfer
dont vous sortez est la première forme du ciel. Il fallait commencer
par là.»; le
principe vaut pour les principaux personnages, Jean Valjean, Marius
et bien sûr Cosette.
Les
Misérables mettent en scènes de nombreux personnages, des plus
puissants (Rois, aristocrates) et de leurs agents (Javert) aux plus
misérables, dans les deux sens du terme, frappés par la misère et
se comportant de manière misérable ( les Thénardier). Hugo
aurait ainsi écrit l'histoire d' un saint ( Jean Valjean) à
l'imitation d'un juste ( Monseigneur Bienvenu), d'un homme (Marius),
d'une femme (Fantine) et d'une poupée (Cosette).
Eponine et Marius, Fortune Méaulle
Il
y a plusieurs romans dans les Misérables, le principal étant celui
qui évoque l' amour complexe entre le «saint» et «la
poupée», Jean Valjean confronté à la violence de la société
qui l'a exclu du monde, et à sa propre brutalité, rencontre des
êtres et des situations qui le conduisent vers le don de soi en
faveur d'une orpheline, Cosette! «L'instinct de Cosette cherchait
un père comme l'instinct de Jean Valjean cherchait un
enfant....cette situation fit que Jean Valjean devint d'une façon
céleste le père de Cosette» «il fut le soutien de cet enfant et
cet enfant fut son point d'appui»
C'est
aussi un roman écrit en deux temps: Hugo commence à écrire Les
Misères en
1845, peu de temps après la condamnation de sa maîtresse Léonie
Briard pour adultère. Il laisse ce roman inachevé pour en reprendre
la rédaction dix années plus tard faisant des misérables
«Tristes
créatures, sans nom, sans âge, sans sexe, auxquelles ni le bien, ni
le mal ne sont plus possibles, et qui, en sortant de l'enfance, n'ont
déjà plus rien dans ce monde, ni la liberté, ni la vertu, ni la
responsabilité.» les
héros de son roman.
Prochainement:
Le personnage de Cosette jeune fille
Cosette
jeune femme à la mode, Baronne de Pontmercy
1 commentaire:
Article extrêmement intéressant! Du coup, je vais peut-être me remettre à lire des classiques (et ça crois-moi, c'est tout à fait inattendu)
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